( Un petit délire du soir ! )
- Je suis venu te soumettre une requête.
Je m’en souviens comme si c’était hier. Et ça l’était peut être quelque part, dans un autre univers, mais cela a-t-il vraiment une importance ? Je me souviens de lui, de ses yeux, des ténèbres tout autour de moi, des cris que j’entendais dans l’obscurité, de cette chaleur étouffante, et surtout de ma peur.
Oui, je n’ai plus honte de le dire aujourd’hui, j’avais peur. Moi, l’Exilée, la mortelle qui n’a pas hésité à braver les dieux et leurs interdits pour conquérir ce que je pensais être la Liberté, moi qui voyage des millénaires à travers les univers, qui explore le temps et l’espace, moi qui erre sur des chemins sans fins. J’étais complètement terrifiée.
Savez-vous ce qu’est la peur ? Cette sensation qui vous monte dans les tripes, cette douleur qui emplit votre esprit, détruisant toutes vos barrières pour vous ronger de l’intérieur. Vous appelez votre maman, ne pensez qu’à vous terrer dans le moindre trou, à attendre comme un enfant que le cauchemar s’arrête, que le grand méchant loup disparaisse. Et pourtant, ce sentiment n’était rien comparé à ce que je ressentais face au Bélial en personne.
Il était là, devant moi. Gigantesque, et terrifiant. Beau également. J’étais dans son domaine, ce n’était pas la première fois que je m’y aventurais, il me connaissait, mais je ne l’avais jamais approché. Jusqu’à ce jour.
Je m’étais agenouillée. Les Enfers brûlaient autour de moi. Des geysers de flammes fusaient parfois dans les ténèbres. Je voyais des morts marcher tout autour, des ombres, des âmes damnées, les guerriers que j’étais venu chercher.
Il me regardait, et ses yeux dardaient des rayons glaçants. La chose fut il possible, il souriait.
- Parle, même si je connais déjà la question.
Sa voix était profonde, et se répercutait en échos sur tout le domaine. Elle était grave, mais étrangement mélodieuse.
- Mohja, l’arène, le Léviathan. J’ai besoin de combattants. Prête moi des âmes, je les inscrirais aux Jeux.
Il rit, et son rire me perça les entrailles. Pourtant, je tins bon. Il fallait qu’il accepte. Je jouais ma destinée en cet instant.
- C’est encore plus drôle de te l’entendre dire. Toi, Esthel, le fléau des Dieux, l’Exilée, maîtresse du Léviathan, la Destructrice de mondes, tu veux t’amuser à jouer avec de vulgaires mortels ? Quel est ton but, il m’est caché et ça m’intrigue.
- Je m’ennuie. J’ai tout vu, j’ai tout visité. Le temps, les univers, l’Avant, l’Après, je connais tout, et j’en ai assez de me repasser les matchs de ligue 1 en boucle. J’ai besoin de nouveauté. Tu le connais, Mohja. Son arène défit les lois de la causalité, moi-même ne peux prédire ce qui va se passer. Il existe sans exister. Son arène est une erreur dans le temps, un bug, un point qui n’aurait pas dû être. Elle est hors de la fatalité, et c’est là tout l’intérêt. Me trompe-je en pensant que ça t’intrigue aussi ?
Je jouai mon va-tout. Bélial restait un dieu, même s’il restait enfermé en Enfer. Je ne pouvais me comparer à lui.
Je le sentis frémir, remuer. Il effaça son sourire, et me répondit, d’un ton presque lassé.
- Tu te trompes. Je vois dans cet avenir. J’y vois la mort de centaines de guerriers, j’y vois le sang, la peur, les larmes, et Barracuda. J’y vois aussi ma mort.
Je levai les yeux.
- Alors, ça signifie que… ?
- J’accepte. Peu importe tes raisons et tes projets secrets. Je te suivrai, et quand je ne serais plus, continuerai à te regarder. Etonne-moi. J’incarnerai une partie de mon esprit pour t’aider. Il y a un combattant qui m’intéresse et je veux le tester. Urselius, un héros Atlante, un Immortel. Je veux m’amuser avec lui. Jusqu’à mourir des mains d’un certain Guts. Choisis tes premiers guerriers.
Tout a commencé à ce moment là. J’ai quitté l‘Hadès, me suis réveillé dans le Léviathan, et ait commencé les derniers préparatifs visant à recueillir les âmes perdues. Mes milliers d’esclaves-ingénieurs ont travaillé jour et nuit, pendant des semaines et finalement ont pu me présenter les corps terminés. Et le voyage a pu débuter. Les âmes sont arrivées, une par une. Le Bélial fut le premier. Le roi des Enfers s’était incarné dans notre univers.
Il avait faibli, ce n’était qu’une partie de son esprit, mais il restait tout de même redoutable. Son corps était beau, une véritable œuvre d’art. jeune, musclé, neuf pieds de haut, des ailes de jais magnifiques, et toujours ce regard.
Il hurla et la galaxie toute entière trembla.
Puis vint Hector, l’Eternel Perdant, qui réclamait vengeance depuis des millénaires. Bélial grogna quand je le ramenai à la vie.
- T’étais obligé de le choisir, lui ? Il arrête pas de gueuler et de chialer comme une gonzesse… j’espérais avoir quelques mois tranquilles loin de ses jérémiades…
Benkei, le fier défenseur de Yoshitsune. Mes ingénieurs ont crée un corps de démon pour lui, semblable à celui de Bélial, mais en plus massif et carré.
Sylve fut l’exception. Elle n’était pas morte. Alors que nous traversions les espaces infinis pour rejoindre la planète de Mohja, le radar du Léviathan capta une forme de vie à proximité d’un trou noir.
- Impossible. Quel créature peut survivre dans un tel environnement ?
Avant qu’elle soit happée, nous l’avons recueilli. Ce n’était au départ qu’un feu follet, mais qui a rapidement grandi dans nos cuves de soins pour devenir une belle jeune femme. Sylve, l’esprit des forêts de la Terre aujourd’hui disparue. Libérée au moment où le dernier arbre fut coupé, elle a erré dans l’univers à l’état de pure énergie pendant des âges et des âges. Après une courte discussion, elle accepta de se battre pour moi dans l’arène. Je l’ai sauvé, elle allait mourir de toute façon. Je lui ai promis de lui rendre la liberté si elle survivait aux Jeux.
Quatre guerriers. Quatre combattants. Nous arrivâmes enfin sur la planète de Mohja. Le Léviathan, grand comme une ville resta en orbite, pendant que nous pénétrâmes dans la Tour. Quelques bretteurs faisaient déjà parler d’eux à l’époque. Vieux Rusé, Big Bastard, Gottri en étaient les leaders, le reste était surtout constitué d’amateurs qui luttaient en basse classe.
- Regarde celle-là. Alphonse Danlta. Elle ne paye pas de mine mais elle ira loin, crois moi. Et lui, le petit gros là va développer une schizophrénie. Il s’appelle Raymond ou quelque chose comme ça…
Mais Bélial le cherchait. Il était venu pour Urselius. Il se moquait des autres.
L’Agora était animée, il y avait des monstres issus du folkore, des super-héros en collants moulants, des chevaliers au port noble, des elfes, des hobbits, des femmes voilées, des géants de pierre, mais mon regard fut attiré par un étrange personnage assis dans un coin , les yeux fixés sur un petit écran de poche, tout seul. Il avait une bouteille d’huile dans la main. Hector s’approcha de lui.
- De l’huile d’olive ? Dans mon pays, on en fabriquait aussi. Mon père avait d’ailleurs les meilleurs oliviers de tout Troie et…
Un regard de l’homme suffit à faire taire mon gladiateur.
Je risquai un coup d’œil sur l’appareil. Des combattants nus semblaient se battre, ou faire l’amour, sur des rings vétustes. Des catcheurs antiques.
- L’entraineur Oxyres est attendu par le Fils de Mohja dans la salle de bain de la maison de retraite des Vieux, l’entraineur Oxyres…
Une annonce diffusée par les haut-parleurs surpassa les autres bruits. L’homme se leva, et je le reconnus enfin. Il était passé sur Pink-Channel il y a quelques jours. De longs cheveux, une barbe épaisse, un corps d’Apollon. Oxyres l'Ostrogoth, entraineur des Berberes. Il passa devant moi, et ne chercha même pas à me séduire. Il soupira, ferma son enregistreur de poche, regarda une dernière fois l’écran géant où combattaient des barbares surboostés aux implants et prit l’ascenseur. Je ne me doutais pas encore qu’il deviendrait l’amant le plus fougueux que je n’eut jamais connu.
Je m’inscris ensuite. Mohja était toujours à la recherche de sang frais. Le clan des Larmes de Sang recrutait, je n’hésitais pas. Mehrorn, un ogre barbu et grand fan de Bernard Minet était mon arrière petit-cousin issu de germain, et je fus étonnée de le retrouver ici. L’aventure pouvait débuter. Les premiers tirages des combats allaient avoir lieu. Ce n’est que le début de l’histoire. Je me souviens de ces premiers jours, des premières défaites, des premiers kos, du rire de Bélial quand il se prenait des coups. Le roi des Enfers s’amusait. Hector avait retrouvé une pâle copie d’Achille, un clonage loupé et lui avait montré qui était le patron. Il ne pleurait presque plus. Je me plaisais bien ici. J’oubliais mon errance, j’obtins un poste dans le journal du coin, et j’en vins presque à croire que j’étais redevenue mortelle.
Le rêve continue, mais pour combien de temps encore ? Bélial est reparti dans son domaine, tué par Guts comme il l’avait prévu, emmenant Urselius et ses frères avec lui, des gladiateurs sont arrivés, d’autres sont repartis, mais je n’en oublie pas mon objectif. Je ne suis pas ici pour jouer, mon ambition est toute autre.
Mohja…