Appelle-moi Gàri.
J'suis champion, c'est pas bien galère à capter, pourtant. Allez, va, minot, t'y as rien fait, je t'engatse. Mais si t'as une minute à pas faire le mìa, je peux te raconter les Goudes, je peux te dire les caillasses des calanques, je peux te mettre un jaune au soleil de 15 heures. C'est mon préféré, celui là, en matant le Frioul ou l'OM galéger un PSG en galère.
La routine quoi. Mais là où on se gave, là en bas chez moi, c'est qu'on a le vent, qu'on a le jour, qu'on a la mer et le soleil, comme peut être ailleurs. Mais toutes ces choses là que je te parle, tu les verras pas pareil ailleurs.
J'ai croisé un mordu d'la Phocéenne, un jour. Izzo, qu'il disait s'appeler. Ouah fan, le fatche, il chantait presque autant que moi quand il jactait, le con. Marseille, de là où j'viens, c'est pas une ville qui se touristise. Ici, il faut prendre parti. Être pour, être contre, être, violemment.
Et c'est à ce moment là que Marseille te montre ce qu'elle a à te montrer. Pas avant.
Mais je pourrais aussi jacter sur les gabians, les cagoles de Saint-Fé, les daurades de la Criée, sur le Port. Mais tu m'as déjà l'air tout ensuqué. Allez, file minot, et file droit, j'arrête de t'emboucaner.
C'est là que je l'ai rencontré. Un cabanon de pêcheur, à la sortie de la Maronnaise. Il "tchatchait une mignonne", comme il m'a dit. Il m'a aussi dit qu'il s'appellait José. Mais depuis que je lui ai parlé, il veut qu'on l'appelle Gàri. Un gàri, c'est un jeune homme, et c'est vrai qu'il le mérite, ce nom.
A croire que le soleil a plus de prise que le temps. Il me raconte sa vie. A le croire, il a largement dépassé la soixantaine. Il me raconte des histoires d'un autre temps. La famille de quand il était petit (enfin, exactement, il dit "minot"), les parties de pèche avec ses collègues (comprenez ses amis), les plongeons depuis la corniche pour impressionner la plus jolie du quartier.
Dans son quartier, le Panier, on l'appelait la Gomme. Il s'effaçait vite, très vite. Aussi loin qu'il s'en souvienne, jamais il s'était fait maraver (tabasser). J'ai senti qu'il me le fallait.
Quand je lui ai proposé de venir avec moi, il m'a fixé. Je m'en souviens, ce silence a vraiment été interminable. Dix, peut être quinze minutes. Il buvait du pastis. Quand le temps est suspendu, comme ça, on a du mal à assimiler ce qui se passe autour de nous. Lui, il buvait. Avant de sortir de moindre mot, il s'était mis deux jaunes et un perroquet (partis-sirop de menthe) derrière la cravate.
Puis il a posé son verre.
Je suis chanu, mais je camphre pas un brin. Je me pointe, je fais le cacou, et on sort cafi.
Je n'ai rien compris. Mais il vient d'accepter. Je m'allume une cigarette, et ferme les yeux en aspirant la première bouffée. Le temps de les réouvrir, il était déjà dans ma voiture.
Il est rapide, on verra à quel point dans l'arène. Bonne chance, Gàri.